#19

Le rejointoiement des ouvrages de maçonnerie

mars 2016

 

Introduction

Les ouvrages de maçonnerie sont reconnus pour leur esthétique, mais principalement leur durabilité face aux intempéries. Toutefois, considérant les rigueurs de notre climat, les techniques de construction utilisées, les caractéristiques des matériaux employés et l’usure, un entretien des ouvrages de maçonnerie doit toujours être envisagé dans un avenir variable. La détérioration des joints de mortier représente souvent la source principale des désordres observés dans une paroi de maçonnerie. Un joint détérioré laissera l’eau de pluie pénétrer à l’intérieur des murs. Lors des cycles de gel-dégel, toute l’eau contenue dans les matériaux qui n’a pu s’évaporer va geler et causer des dommages à la maçonnerie.

D’une part, l’objectif du présent Maçonnerie-Info est de fournir aux propriétaires et intervenants dans l’entretien de murs en maçonnerie les lignes directrices leur permettant de procéder efficacement à des travaux de rejointoiement.

D’autre part, ce numéro ne traitera pas des causes de la dégradation ni des dommages à la maçonnerie causés par la détérioration des joints de mortier.

Enfin, pour des renseignements complémentaires liés au présent sujet, voir Maçonnerie-Info #7-8r2 (Le mortier, juin 2013), #11 (Travaux de maçonnerie par temps froid, janvier 2011), #12 (Joints de rupture, juillet 2012) et #13 (L’épaisseur des joints de mortier, juin 2013).

Qualifications

Avant d’entreprendre des travaux de rejointoiement d’un ouvrage de maçonnerie, c’est-à-dire de cureter les joints existants sur une certaine profondeur, puis de les remplir d’un nouveau mortier, il est essentiel de recourir à du personnel qualifié pour bien préparer les surfaces, utiliser le mortier adéquat et, enfin, respecter les conditions de cure pour favoriser l’étanchéité de l’ensemble.

Autres considérations

Pour ce qui est des professionnels participants, les qualifications des intervenants lors des travaux de rejointoiement, leur préqualification, le diagnostic ainsi que la détermination de la portée du travail, référez-vous au bulletin Maçonnerie-Info #28 (Travaux de réfection et de restauration des ouvrages de maçonnerie, décembre 2009).

Types de finitions

Afin de préserver l’uniformité visuelle des façades, surtout dans le cas où le rejointoiement est effectué ponctuellement sur une d’elles, il faut s’assurer de reproduire le plus fidèlement le joint d’origine, sur le plan de la forme (ex. joint concave), de la couleur et de la texture (ex. finition au pinceau, au balai ou autre).

Sélection du mortier

Il n’existe pas de mortier universel. De manière générale, les mortiers à base de chaux sont reconnus comme étant plus performants dans notre climat. La croyance populaire voulant que plus le mortier est dur, plus il est résistant est fausse.

Le choix du mortier est tributaire, entre autres, des conditions climatiques (pluie, cycles de gel-dégel, etc.) ainsi que des contraintes induites par des agents externes tels que les sels de déglaçage.

La couleur du mortier doit être agencée à celle du mortier existant. Pour connaître la couleur d’origine, il faut laver les joints. Si le rejointoiement est ponctuel sur une façade et que la couleur du nouveau mortier s’appareille à la façade existante sale, lors d’un lavage futur, le mortier de cette façade sera de teinte variable.

Pour de l’information complémentaire relative aux performances recherchées du mortier, voyez Maçonnerie-Info #7-8r2 (Le mortier, juin 2013).

Les principaux critères à considérer lors du choix d’un mortier sont :

  1. Résistance à la compression
    Principe de base : la résistance à la compression du mortier de rejointoiement doit toujours être plus faible que celle des éléments de maçonnerie à lier.
  2. Aspect visuel et esthétique recherchés
    S’assurer, lorsqu’applicable, que le choix du mortier respecte les exigences d’organismes tels : ministère de la Culture, Patrimoine Canada, Icomos, CCU, etc. Idéalement, l’aspect final du travail devrait s’appareiller à l’existant. Attention, l’approche de restauration, dans le cas de bâtiments historiques ou patrimoniaux, doit être clairement établie avant le début des travaux.
  3. Compatibilité avec les éléments de maçonnerie à lier
    S’assurer que le nouveau mortier de rejointoiement est compatible (adhérence, perméance et réactivité chimique) avec le mortier existant, la brique, le bloc ou la pierre.
  4. Caractéristiques de mouillage et de séchage
    Le mortier de rejointoiement doit avoir un taux d’absorption d’eau faible et une perméance à la vapeur d’eau élevée. La perméance du mortier doit être supérieure à celle des éléments de maçonnerie. Un mortier plus perméable favorise, entre autres, l’assèchement, lequel réduit l’accumulation d’humidité dans les assemblages de maçonnerie.
  5. Adhérence
    Le choix du mortier influe directement sur le risque de fissuration du joint, c’est-à-dire sa capacité d’adhérence aux éléments de maçonnerie. Pour réduire le retrait et la fissuration, il faut choisir un mortier avec un rapport eau/liant ajusté ainsi qu’un faible taux de ciment. Les mortiers contenant un fort pourcentage de chaux présentent une plus faible résistance à la compression. Par conséquent, ils sont plus souples et résistants à la fissuration.Une bonne adhérence du mortier de rejointoiement est tributaire de l’humidité contenue dans les éléments et le mortier lors de sa mise en œuvre, de la qualité du curetage, du compactage ainsi que du respect des conditions de cure.
  6. Résistance aux sels (sulfates et chlorures)
    Comme prémisse de conception, un joint de mortier ne devrait pas être exposé aux sels de déglaçage. À la suite de la migration par capillarité des sels dissous dans les éléments de maçonnerie, ceux-ci désagrègent le mortier. C’est la source des dégâts observés dans les parties inférieures des murs de maçonnerie près des trottoirs ou balcons où des sels de déglaçage sont épandus. Si le détail de construction ne peut être modifié, il faut utiliser un mortier qui résistera le mieux aux effets néfastes de ces derniers. Bien que non souhaitable, dans ce cas précis, l’emploi d’un mortier contenant plus de chaux hydratée ne constitue pas une solution viable.

Échantillon de l’ouvrage


Avant le rejointoiement, il est recommandé de faire réaliser un échantillon de l’ouvrage sur le chantier, en présence de l’architecte qui devra approuver par écrit la préparation des joints, le gâchage, la mise en œuvre, la méthode préconisée pour la cure et le résultat final. L’emplacement retenu devrait se trouver, dans la mesure du possible, sur la partie la moins visible du bâtiment. Une fois la cure terminée, si l’échantillon est approuvé, il pourra faire partie intégrante de l’ouvrage et servira d’étalon pour le reste des travaux de rejointoiement. Cela procure un échantillon de référence aux intervenants et évite ainsi l’argumentation sur ce qui acceptable ou non. Les travaux devraient être inspectés par section en fonction de l’avancement des travaux, pas seulement à la fin du chantier.

Préparation du joint


Afin d’optimiser la durée de vie des joints de mortier, un point très important à respecter est celui de la préparation de la surface pour obtenir une adhérence maximale. Voici les principales considérations :

  1. Curetage du joint existant
    En fonction du type de mortier, de sa dureté et son épaisseur, il faudra employer une méthode d’évidage des joints appropriée, manuelle ou mécanique, pour ne pas endommager les éléments de maçonnerie. Les exigences de la CNESST et des Villes en matière de protection pour les travailleurs doivent être respectées quant à la présence de silice dans le mortier existant lors de l’évidage des joints. Les vibrations causées par les outils à percussion ou les traits de scie excédentaires des meules peuvent causer des dommages irréparables affectant tant l’intégrité structurale que l’aspect esthétique du mur de maçonnerie. Il est déconseillé de procéder à l’évidage des joints par temps froid, lorsque la maçonnerie est gelée (température de la maçonnerie sous 0 degré Celsius), car cela augmente le risque d’épaufrures des éléments de maçonnerie en contact avec le vieux mortier. De plus, il est déconseillé de procéder à l’évidage des joints lorsque le mortier est gelé, puisqu’il sera difficile de discerner le mortier gelé non adhérent et le mortier sain.
  2. Profondeur du joint
    Il faut creuser le joint existant sur un minimum de 2 à 2,5 fois l’épaisseur du joints sans être inférieur à 25 mm de profondeur ou jusqu’au mortier sain lorsque le mortier se défait. Le fond du joint doit être vertical, autant pour la partie courante que la terminaison du joint. Dans le cas où le mortier altéré représente plus du tiers de la profondeur de l’élément de maçonnerie, il faudra déterminer si ce problème est localisé ou généralisé. S’il est généralisé, il faudra envisager une démolition et une reconstruction complètes du parement;
  3. Nettoyage du joint
    Pour une adhérence maximale, le joint doit être nettoyé de toute impureté. Un nettoyage à l’aide d’un jet d’eau est requis. Cette méthode s’avère plus efficace que la brosse ou l’aspirateur, qui ont tendance à laisser des résidus sur les surfaces. Il faut ajuster la pression en fonction de l’état physique du joint existant conservé;


Remplissage et façonnage du joint

  1. Gâchage du mortier
    Afin de conserver les propriétés physico-chimiques du mortier utilisé, il faut respecter les recommandations du manufacturier pour le gâchage, le temps de repos du mortier et de pose. Le gâchage, c’est-à-dire la quantité d’eau ajoutée à la poudre du mortier prémélangé en usine pour l’obtention d’une pâte à consistance uniforme, doit être contrôlé. Une variation peut entraîner, entre autres, des inégalités dans la couleur du mortier, un manque d’adhérence, un changement de sa résistance en compression ainsi que l’augmentation du retrait.L’ajout d’eau de gâchage au mortier prémélangé est toujours à proscrire pour éviter d’influencer le résultat final.Lorsque les ingrédients sont mélangés au chantier, bien que non recommandé par l’IMQ, le dosage doit être effectué par le même ouvrier pour s’assurer de la constance du mélange. Afin d’éviter des mortiers avec différentes résistances, il faut contrôler les unités de mesure et le taux d’humidité du sable en le protégeant de la pluie et de la chaleur à l’aide de bâches. Enfin, par temps chaud, il faut recouvrir le bac de mortier d’une toile humide.
  2. Contrôle de l’humidité dans la maçonnerie
    Avant l’application du mortier, il faut humecter (substrat saturé d’eau sans trace de luisance en surface) toutes les surfaces en contact avec celui-ci. Si les éléments de maçonnerie sont trop secs, ils vont absorber rapidement une partie de l’eau contenue dans le mortier et altérer sa cure et son adhésion. La conséquence la plus visible sera l’apparition de microfissures en surface du joint de mortier. Lorsque celles-ci se produisent entre le nouveau mortier et les éléments de maçonnerie à lier (brique, bloc, pierre, etc.), c’est l’adhérence même qui en est affectée. Dans le cas contraire, un surplus d’eau entrainera une dilution du mortier et, par le fait même, sa fragilisation et son retrait.
  3. Mise en œuvre du mortier
    On met en place le mortier en s’assurant de bien remplir le joint. À cette fin, on procède par couches successives, en appuyant sur le mortier (sans lisser) de façon à le placer bien au fond de la cavité, pour éliminer les vides. Cette dernière précaution est importante, car les vides empêcheraient d’une part les couches de se souder ensemble et permettraient d’autre part à l’eau d’infiltration de s’accumuler et d’endommager le mortier en cas de gel. On applique les couches immédiatement les unes après les autres, sans laisser sécher[1].Dans tous les cas, il est important de suivre les recommandations du manufacturier du mortier utilisé. Le rejointoiement doit se faire du haut vers le bas du mur de maçonnerie. L’utilisation d’une «poche à pâtissier» est toujours à proscrire.Pour obtenir une bonne liaison entre le nouveau mortier, les parois adjacentes et le mortier existant, il faut compresser celui-ci à l’aide d’une mirette ou d’un fer rigide.
    Concernant le délai de mise en œuvre, consultez Maçonnerie-Info 7-8r2.
  4. Façonnage et profil du joint
    L’aspect final recherché du joint de mortier, communément appelé lissage ou tirage des joints, est produit à l’aide d’un fer rond, carré ou selon la forme désirée. Pour obtenir une couleur et un fini uniformes, la mise en place du mortier et le lissage doivent être effectués pour l’ensemble du projet lorsque le mortier se trouve dans la même condition (texture). Naturellement, la température, le vent et le taux d’humidité relative de l’air ambiant influeront sur la vitesse de séchage du mortier et le moment propice pour sa finition.La compression et le façonnage de la surface du joint de mortier doivent permettre l’adhésion aux  surfaces avoisinantes et fournir une texture uniforme. Dans certains cas, après la compression du mortier, une finition au pinceau permet de compléter ce double objectif d’adhésion et de texture.

 

Période de cure humide du mortier

La cure humide du mortier est un processus nécessaire pour la prise adéquate des liants de façon uniforme. Une cure humide évite au mortier de sécher avant de compléter son hydratation (réaction chimique qui fait durcir le mortier), ce qui occasionne des fissures de retrait et constitue en soi une déficience dès les premières semaines après sa mise en place. La durée de la période de cure humide varie en fonction des types de mortiers utilisés ainsi que des conditions environnementales (humidité relative, température et vents) auxquelles ils sont exposés.

Le temps de cure humide peut varier de trois à sept jours. Sept jours pour les mortiers à base de liants hydrauliques à durcissement lent, par exemple la chaux hydraulique (CHN). Il faut de trois à quatre jours pour les mortiers à base de ciment Portland et de chaux hydratée. Même si la cure humide peut être effectuée de plusieurs façons, l’utilisation de toiles de jute maintenue humides et recouvertes d’une feuille de polyéthylène constitue la méthode la plus répandue et la plus efficace. Les toiles ne doivent jamais être en contact direct avec la maçonnerie fraîchement rejointoyée.

En conditions d’hiver, l’air chauffé mécaniquement dans le système d’échafaudage est sec et peut occasionner le retrait du mortier par séchage trop rapide. Il est donc important de contrôler et de maintenir une température et un taux d’humidité[2] relative adéquat lors de la période de cure humide du mortier. Cela est d’autant plus important selon le type d’élément de maçonnerie et son taux d’absorption. Le mortier sera davantage durable si la cure humide est suivie d’une période de protection temporaire avant de l’exposer aux intempéries, au vent, aux rayons du soleil et aux variations de température. Il faut donc attendre un certain temps après la cure humide avant de retirer le chauffage et les toiles de protection en hiver. Les travaux en conditions d’hiver sont dispendieux et nécessitent un suivi accru, car le contrôle des conditions environnementales est plus complexe que pendant l’été.

Enfin, l’IMQ recommande d’exécuter les travaux de rejointoiement lorsque la température se situe de 5 à 25 degrés Celsius avec une humidité relative idéale aux alentours de 50 %. Des lecteurs d’humidité relative et de température peuvent être installés dans les échafaudages pour effectuer un bon monitorage[3] des conditions environnementales, puis apporter les ajustements nécessaires au besoin pour optimiser les conditions de cure du mortier.

Conclusion

L’ennemi numéro un de la détérioration d’un ouvrage de maçonnerie dans notre climat est l’eau d’infiltration combinée avec les cycles de gel/dégel. La performance du mortier joue un rôle fondamental dans la durabilité d’un ouvrage en maçonnerie. Il est donc primordial de sélectionner le mortier adéquat, de bien préparer les surfaces et de suivre les recommandations du manufacturier de mortier et celles des professionnels lors de sa mise en place. Pour atteindre les objectifs de performance et de durabilité souhaitée du mortier, une planification méticuleuse est nécessaire lors des travaux de rejointoiement.

Référence :

  • Denis Saint-Louis, architecte. Maçonnerie traditionnelle, volumes I, II et III. Héritage Montréal, 1984.
  • H.P. Maurenbrecher, K. Trischuck, M.Z. Rousseau, M.I. Subercaseaux, CNRC.
  • Les mortiers de rejointoiement pour les bâtiments de maçonnerie ancienne – Considérations pour la conception, 2008.
  • H.P. Maurenbrecher, K. Trischuck, M.Z. Rousseau, M.I. Subercaseaux, CNRC.
  • Les mortiers de rejointoiement pour les bâtiments de maçonnerie ancienne – Considérations pour l’exécution, 2008.
  • Mark London, Dinu Bumbaru. Guide technique No 3 : Maçonnerie traditionnelle, Héritage Montréal, 1984.
  • Michel Lemaire, architecte. La surveillance de chantier : une mesure préventive pour assurer la qualité de l’ouvrage. Revue Le Maçon, 2003.
  • Lafarge Canada. Brochure : Ciment à maçonner, type N, type S et type M.
  • Briqueterie St-Laurent. Brochure : Entretien et maintenance.
  • Ville de Québec. Guide technique No 6 : La maçonnerie de pierre, 1989.
  • Ville de Québec. Guide technique No 7 : La maçonnerie de brique, 1989.
  • Gilbert Paré, architecte. Vocabulaire de la maçonnerie : lexique anglais-français. Les Éditions de l’Équerre, Montréal, 1993.
  • Saint-John Héritage. Lignes directrices utiles à la conservation : maçonnerie.
  • Lieux Patrimoniaux du Canada. Manuel d’entretien des bâtiments du patrimoine manitobain.
  • CNRC, Solution constructive #68. Les mortiers de rejointoiement pour les bâtiments de maçonnerie ancienne- Considérations pour la conception.
  • CNRC, Solution constructive #68. Les mortiers de rejointoiement pour les bâtiments de maçonnerie ancienne- Considérations pour l’exécution.

 

1 Il existe deux écoles de pensée concernant la mise en œuvre. D’abord, la pose en couches successives sans laisser sécher le mortier, puis celle en couches successives avec un temps de séchage entre les couches.

2 Ces conditions doivent être constantes (jour et nuit) durant toute la période avant, pendant et après la pose, et durant la période de cure.

3 Système d’acquisition de données en temps réel. Des psychromètres peuvent être utilisés des lectures ponctuelles d’humidité relative.